La prise de conscience de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) et le soulèvement général de l’économie sociale et solidaire (ESS) ont propulsé la notion d’impact social sur le devant de la scène entrepreneuriale. Beaucoup de structures cherchent désormais à maximiser cette conception, qui demeure, pour certains, relativement lointaine et floue.
De quoi parle-t-on vraiment ? Comment se lancer ? Comment avoir un impact réellement positif et le maximiser ?
Nous en avons discuté avec trois experts en la matière : Élodie Baussand et Arnaud Regnier, associés chez Tenzing Conseil et Mathieu Nebra, fondateur de l’école en ligne OpenClassrooms, qui propose des formations diplômantes dans le domaine du numérique.
Qu’est-ce que l’impact social d’une entreprise ?
L’impact social correspond à l’ensemble des conséquences d’ordre sociales, sociétales et environnementales des actions d’une entreprise sur ses parties prenantes et sur la société dans son ensemble.
Que ce soit dans le mouvement gilets jaunes ou dans les discussions sur le climat : les entreprises ont un rôle à jouer – Arnaud Regnier
La notion d’impact social est en partie le résultat de cette convergence d’initiatives menées aujourd’hui en faveur du développement durable. Un point que de nombreuses entreprises cherchent donc à favoriser pour leur image, mais aussi pour leur avenir. En fonction des missions, des ressources et priorités de chacune, les démarches peuvent varier avec plus ou moins d’efficacité.
Les cas Tenzing Conseil et OpenClassrooms
Tenzing Conseil et OpenClassrooms sont deux entreprises dites « sociales ».
Elles sont détenues par leur propre association et leurs statuts indiquent une mission première d’ordre social, leur permettant de prendre part à leur manière à l’ESS. Elles jouent donc, malgré une notion de profit, dans la même cour que les associations non lucratives, les fondations, les mutuelles et les coopératives. Autrement dit, pour des entreprises, elles ont un impact social maximal.
Tenzing est un cabinet de conseil qui a été créé avec la volonté de « favoriser la reconnaissance des jeunes de milieux modestes en leur donnant accès aux métiers du conseil ». Dans ce domaine particulièrement élitiste, les origines sont souvent facteur d’exclusion.
Ils ont pour cela mis en place un recrutement ouvert, permettant de passer d’une culture orientée diplômes à une culture orientée compétences, mais ce n’est pas tout. « En tant qu’entreprise à impact social et sociétal, comme OpenClassrooms, nous avons un mode de gouvernance partagée et 100% de nos bénéfices sont redistribués », nous explique Élodie.
Le modèle de Tenzing se trouve entre l’entreprise classique et celui de l’ESS. On veut montrer qu’on peut avoir une activité qui allie sens et performance – Arnaud Regnier
Côté OpenClassrooms, l’engagement prend une place tout aussi importante. « Nous n’avons qu’une mission : rendre l’éducation accessible » explique Mathieu.
Nous sommes l’une des premières entreprises françaises à l’inscrire dans nos statuts et à faire évoluer la gouvernance en fonction – Mathieu Nebra
L’idée derrière cette démarche ? Prendre en compte la mission dans les prises de décision de l’entreprise, à tous les niveaux, qu’il s’agisse de décisions opérationnelles ou stratégiques.
« La mission première exige beaucoup d’attention. Elle n’existe que si elle est partagée par les actionnaires et les équipes. De plus, la simple question « cela correspond-il à la mission » permet d’apporter des réponses simples et débloquer toute sorte de situations » – Mathieu Nebra
À l’arrivée, l’impact social de ce type d’entreprise atteint des sommets. Si bien que la notion d’« enjeux RSE », telle que perçue dans les entreprises classiques « n’a ici plus vraiment lieu d’être » explique Mathieu.
Comment mesurer l’impact social d’une entreprise ?
L’idée ici est de mettre en place un processus permettant de comprendre puis valoriser les effets générés par l’entreprise dans sa mission. Le champ d’évaluation peut donc être très étendu, la taille de l’impact variant en fonction des engagements de l’entreprise. Cela devient d’autant plus compliqué que l’impact peut concerner différents types de bénéficiaires : les bénéficiaires physiques directs, des zones territoriales définies, ou même la société dans son ensemble. C’est souvent ici que se perdent les entreprises..
Voici les principales méthodes référencées par le conseil supérieur de l’ESS en 2011. Elles sont toujours valables aujourd’hui et sont positionnées selon deux dimensions : leur visée interne ou externe et le nombre de critères pris en compte.
Il en manque un grand nombre et il serait périlleux de détailler toutes les méthodes ici. Retenez simplement qu’il y a l’embarras du choix et que pour être pertinent il devra être porté en fonction de trois critères précis :
- Le périmètre : il est impossible de tout évaluer de manière exhaustive, il faut donc choisir et faire la lumière sur un ou plusieurs points bien précis.
- Les ressources : quelle est la durée dont je dispose ? Quels sont mes moyens financiers, matériels, humains ? Il faut baser sa méthodologie sur des outils réellement accessibles.
- La raison et la cible : les motivations derrière l’évaluation sont-elles d’ordre interne (exemple : renforcer la culture d’entreprise), ou d’ordre externe (exemple : convaincre des investisseurs). Répondre à cette question permet déjà de mieux cerner la dimension de la démarche.
Il n’y a pas de meilleure méthode ou de méthode unique, c’est à l’entreprise d’élaborer celle qui lui correspond le mieux. Quel que soit le moment auquel elle décide de se lancer, les enjeux ou la finalité de l’évaluation. En fonction de la méthode choisie, le processus mis en place devra cependant respecter ces trois étapes clés :
1) Définir ce qui compte : ou la définir le nombre de critères d’évaluation. Ils permettent au passage d’afficher les valeurs auxquelles l’entreprise se réfère.
2) Mesurer : en utilisant des indicateurs qualitatifs ou quantitatifs spécifiques, qui visent à préciser les critères retenus et leur faire gagner en objectivité.
3) Communiquer : en partageant les résultats en interne, en externe, et en tirant un maximum d’enseignements des actions menées.
Comment maximiser l’impact social ?
Il s’agit d’intégrer un cercle vertueux dans lequel tout le monde est gagnant : l’entreprise, les parties prenantes, les collaborateurs et la planète – Arnaud Regnier
Conseil n°1 : avoir une mission sociétale liée au business
Il y aura ainsi plus de chances que la démarche plaise aux collaborateurs en quête de sens, ce qui favorisera leur implication. « Beaucoup d’entreprises sont dans une politique RSE incarnée par un fond philanthropique ou du mécénat, et financent des projets qui n’ont rien à voir avec leur business. Ce n’est pas une mauvaise chose, mais les salariés peuvent se sentir moins concernés par la cause » nous assure Arnaud.
Et l’enjeu est double, car côté investisseurs, le principe est le même. « Citizen Capital s’intéresse uniquement à des entreprises qui ont un objet social en rapport avec leur mission. Ils demandent des infos sur l’activité financière, sociale, demandent un reporting annuel. C’est l’un des premiers fonds d’investissement à faire cela en France » ajoute Mathieu.
Conseil n°2 : bien cibler ses partenaires
Une fois la mission clairement définie, il devient plus simple de trouver une thématique. Cela permet notamment d’accéder à un réseau de partenaires déjà en place et d’y apporter sa contribution. « Cela nous évite de nous disperser, permet d’avoir un vrai effet levier et maximise notre impact » nous explique Élodie, « L’idée derrière étant aussi de mettre en relation les acteurs associatifs pour maximiser le leur ».
« Toutes les entreprises qui voudraient s’engager peuvent trouver des structures avec lesquelles travailler. On peut même aller loin dans les connexions, il faut prendre le temps d’y réfléchir » – Arnaud Regnier
Conseil n°3 : laisser venir ses partenaires
« Cartographier des acteurs de l’ESS et trouver ses potentiels partenaires n’est pas simple pour une entreprise qui veut mener des actions » poursuit Arnaud, « d’où l’intérêt de cibler et de laisser venir à soi ». Une simple page dédiée sur le site peut attirer un grand nombre de projets solidaires, mais il faut tout de même communiquer dessus, notamment sur les réseaux sociaux.
Un autre type d’action est mené chaque année par Tenzing pour attirer les meilleurs partenaires : l’appel à projets. « Le nôtre s’appelle le Prix Tenzing » précise Élodie, « nous l’avons remis cette année à Sciences-Po en présence de Muriel Penicaud (ministre du travail) et Emmanuel Faber (PDG de Danone) ». Un temps fort pour les associations qui sont réellement mises en lumière, mais aussi pour Tenzing qui valorise ainsi son modèle auprès de ses clients.
Ainsi les participants voient que d’autres voies sont possibles, c’est un événement militant – Élodie Baussand
Le prix Tenzing, une belle occasion de trouver des partenaires et de communiquer sur ses actions.
Conseil n°4 : obtenir des labels
Des labels comme B-Corp permettent de rendre visible l’action positive de l’entreprise – Elodie Baussand
Ce label vise à certifier l’impact des entreprises engagées. « C’est une reconnaissance internationale » ajoute Mathieu, « beaucoup de grandes entreprises connues pour leur engagement sont déjà labellisées et nous cherchons également à l’obtenir pour OpenClassrooms ».
Conseil n°5 : créer un comité d’impact
Une autre idée adoptée par OpenClassrooms dans laquelle il est question cette fois de faire évoluer la gouvernance de l’entreprise. « En plus des dirigeants, des investisseurs et des collaborateurs, notre comité d’impact réunit toutes les parties prenantes » explique Mathieu. Ainsi, l’avis des professeurs, mentors, étudiants, partenaires et représentants des autorités publiques sont pris en compte dans les décisions de l’entreprise.
Le comité d’impact n’a pas pouvoir de décision, mais il est autonome et peut interpeller lorsque l’entreprise dévie de sa mission. C’est très peu courant, je crois même qu’on est parmi les premiers en France – Mathieu Nebra
Conseil n°6 : mettre en perspective les résultats de l’impact
L’impact social d’une entreprise est une notion globale dans laquelle chacun des collaborateurs a une part qui lui revient. « Malheureusement, on peut difficilement constater directement le fruit de son action », nous explique Élodie, « en revanche on peut facilement constater le résultat d’un mouvement collectif. À l’entreprise de mettre en place des systèmes qui peuvent mettre l’impact en perspective et le rendre visible ».
Chez OpenClassrooms, cela se traduit à travers un compteur d’emplois créés. « Il est possible de compter de manière assez précise le nombre de jobs créés qui sont en lien avec nos formations. Nous avons donc installé un compteur flip-flap qui affiche le nombre et tient les comptes » explique Mathieu. Un moyen simple et efficace d’afficher un résultat au vu et au su de tous.
Pour conclure
La maximisation de l’impact social passe par la mise en place d’un terrain favorable au développement de l’aspect social. Il n’existe pas de méthode universelle, mais on peut s’accorder sur le fait qu’il existe un ensemble de démarches, plus ou moins complexes, basées sur l’implication et la transparence de chacun. Que l’on soit engagé par nature comme les entreprises « sociales » ou par envie pour les entreprises « économiques », tout le monde peut trouver son cercle vertueux et avoir un impact social significatif.
très interessant au sein de l’entreprise