Nous n'étions pas juste "scotchés derrière l'écran"

Préambule : ce billet est rédigé sur un ton bien plus personnel que d'habitude. Il était en gestation dans ma tête depuis quelques mois. N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez, ce que vous en retenez et si vous aimeriez que d'autres billets de ce type soient publiés à l'avenir.Je n’ai jamais été fan de Steve Jobs au point de connaître sa vie dans les moindres détails. Bon, ok : j’admets avoir lu sa biographie. Pour la culture, c’était intéressant (et je le recommande d’ailleurs). Mais s’il y a un de ses discours en particulier qui mérite d’être écouté, c’est bien celui qu’il a donné à l’université de Stanford aux nouveaux diplômés. Si vous ne l’avez jamais entendu, vous ne perdrez pas de temps à l’écouter.L’un des aspects de son discours m’a particulièrement marqué, lorsqu’il dit qu’avec du recul et de l’expérience, il parvient à considérer que tout arrive pour une raison (dans les cinq premières minutes du discours). Non non, vous n’y êtes pas, il ne croit pas à un « destin » qui serait écrit pour nous à l’avance. Mais en revanche, il finit par trouver du sens à toutes ses expériences, même celles qui ont l’air de n’avoir aucun rapport a priori.Ainsi, il finit par trouver un sens au cours de typographie qu’il a pris à l’université (un peu parce qu’il fallait bien prendre des cours pour combler son emploi du temps). Finalement, pris de passion pour cette matière, il finira par réutiliser ce qu’il a appris dans les premiers Macintosh et insistera pour que ceux-ci affichent de belles lettres bien structurées, selon les règles de la typographie qui lui sont revenues en mémoire. Les polices de caractère sont une évidence pour nous aujourd’hui, mais elles étaient loin d’en être une à l’époque.Et c’est donc à partir de là, en prêtant attention aux détails du quotidien, que j’ai fini par « retourner » le spectre des expériences quotidiennes, même les plus difficiles ou les plus anodines, pour les percevoir comme des expériences utiles pour le futur… et donc, comme autant d’expériences positives.Flash-back quinze ans en arrière. Je suis un étudiant comme un autre dans un collège comme un autre. Je m’apprête à rentrer en quatrième. J’ai les mêmes sujets de discussion que tout le monde : « Va-t-on avoir Mme X en Histoire-Géo cette année ? J’espère surtout pas M. Y. Qu’est-ce qu’on mange à la cantine ce midi ? » etc, etc. et bien d’autres questions passionnantes dont dépendait sûrement la survie de l’Humanité.A cette époque, je passais déjà beaucoup de temps sur l’ordinateur familial. Il n’avait d’ailleurs de familial que le nom, puisque je me l’étais approprié et que j’étais évidemment celui qui y passait la majeure partie de son temps, au grand dam parfois de mes parents.Qu’est-ce que je faisais ? Je jouais, je discutais sur Internet (1h / mois, car c’était la durée de mon forfait internet 56k à l’époque !), je bidouillais la base de registres, je tremblais d’avoir tout cassé en mettant à jour un driver qui avait provoqué un écran bleu de la mort… Bref, pour reprendre l’expression parentale, j’étais « scotché derrière l'écran ».Je sais que j’aurais dû sortir plus souvent. Je ne l’ai pas fait. Je n’étais pas un vampire non plus, je prenais la lumière du soleil bien évidemment, mais ce n’était pas mon premier « réflexe » au quotidien.En revanche, si on prend du recul, est-ce que c’était vraiment une perte de temps ? Quand on y regarde d’un peu plus près aujourd’hui, il semblerait que non. Et c’est même une évidence quand on met les choses en persective : pendant toutes ces années de « bidouille », j’ai creusé, analysé, cherché à comprendre les rouages de l’ordinateur que j’avais entre les mains. J’ai fini par en monter un moi-même, puis deux, puis trois, puis j’ai commencé à programmer des logiciels ainsi que des sites web (le premier d’entre eux était le Site du Zéro, qui devint une entreprise à la fin de mes études, pour se transformer aujourd’hui en OpenClassrooms).Tout ce temps passé à « bidouiller » s’est révélé avoir une grande valeur aujourd’hui. Et c’est toute une génération finalement – ma génération – qui faisait la même chose en même temps que moi. Je n’étais pas seul, loin de là. Nous avions notre univers, nos repères et nos codes, comme tous les groupes. Certains étaient gothiques tendance Marilyn Manson, d’autres RnB tendance M. Pokora, nous nous étions ceux qu’on commençait à appeler les geeks, longtemps avant que ça ne devienne même une tendance. Nous étions ceux qui lâchaient discrètement un « lol » dans les cours de récré, mais pas trop fort. Or aujourd’hui, j’entends cette expression un peu partout dans le langage populaire, même en marchant dans la rue (NB : la pertinence de l’utilisation d’une telle expression à l’oral est en revanche un autre débat dans lequel je ne rentrerai pas).Nous autres « geeks » sommes arrivés quelques années plus tard sur le marché du travail. Notre métier ? Beaucoup sont devenus développeurs, bien évidemment. Mais pas seulement. Certains ont exploité leur culture technique à des degrés divers, en apportant une grosse valeur ajoutée dans les équipes qu’ils ont rejoint, dans des secteurs a priori « éloignés » comme les assurances ou les agences de voyage.D’autres, dont je fais partie, ont créé des entreprises, des start-ups. Ils ont découvert un nouvel aspect du monde du travail. Les relations avec d’autres entreprises, avec des clients et des fournisseurs. Le sens des mots « chiffre d’affaires », « charges sociales », « EBITDA ». Les trésoreries de fin de mois difficiles. Le recrutement. Le management. La complexité et l’importance aussi des relations humaines dans le monde professionnel. Parfois au prix d’expériences douloureuses sur le moment, mais aussi salvatrices et positives sur le long terme. Ne disais-je pas un peu plus tôt que tout peut être vu comme des expériences utiles dont on peut se servir à nouveau à l’avenir ?Si vous vous retrouvez là-dedans, faites l’exercice quelques instants. Je vous assure que ça en vaut la peine. Repensez à toutes ces années. A tout ce temps qu’on aurait pu croire perdu sur le coup, et qui suscitait parfois l’incompréhension de votre entourage. Lentement, silencieusement, sans le savoir, vous étiez en train de construire votre avenir. De créer de la valeur pour le futur.Nous n’étions pas juste « scotchés derrière l'écran ». Nous préparions les fondations du reste de nos vies, et nous continuons à le faire aujourd’hui.

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